Plan de relance européen : Macron et Merkel arrachent un accord historique

POLITIQUE

Plan de relance européen : Macron et Merkel arrachent un accord historique


Les 27 sont parvenus mardi matin à un accord sur le plan de relance et le budget européens. Il comprendra 390 milliards de subventions directes aux Etats après un emprunt commun, une petite révolution. Mais l'accord s'est fait aux prix d'importantes concessions aux pays du Nord, qui réduisent l'ambition initiale portée par Paris et Berlin.

Les traits sont très tirés mais l'essentiel se veut assuré. Mardi, à 5 h 30 du matin et après une nouvelle nuit d'intenses tractations lors d'un sommet européen entamé… vendredi matin, les chefs d'Etat et de gouvernement de l'UE sont enfin parvenus à un accord sur un plan de relance européen de 750 milliards d'euros.

Il se veut, comme l'ont matraqué Angela Merkel et Emmanuel Macron mardi matin, « historique » : en s'accordant pour octroyer des subventions aux pays les plus touchés par la crise du Covid-19, sur la base d'un emprunt commun aux 27, l'accord fait ainsi basculer l'Europe dans une nouvelle dimension, celle d'une forme de solidarité budgétaire, un pas vers une forme de fédéralisme. « Une étape majeure et essentielle a été franchie. C'est un changement historique de notre Europe et de notre zone euro », a insisté Emmanuel Macron au sortir des négociations.

Des négociations interminables

Mais l'indéniable victoire que cela constitue pour Paris et Berlin, qui ont affiché un front parfaitement uni de bout en bout , gardera aussi un goût amer tant l'exercice fut douloureux. Les quatre jours et nuits de ce sommet marathon (il n'aura toutefois pas battu, pour 30 minutes, le record de durée, établi au sommet de Nice en 2000, sur l'élargissement), auront aussi vu l'Europe du Nord et du Sud étaler toutes leurs divisions, la première poussant Paris et Berlin à sérieusement revoir à la baisse leurs ambitions initiales, au terme de négociations parfois particulièrement musclées.

Très réticents à l'idée de subventions, les quatre pays du Nord autoproclamés « frugaux » (Pays-Bas, Suède, Danemark et Autriche), rejoints par la Finlande, ont durement monnayé leur accord. Au final, la part des subventions dans le plan est ainsi ramenée de 500 milliards à 390 milliards d'euros, le reste étant constitué de prêts plus classiques aux Etats, à rembourser par chacun.

L'Europe du Sud a dû légèrement revoir le quantum à la baisse, après avoir longtemps fait de 400 milliards un minimum, mais l'ambition est préservée. « Il faut mesurer le chemin parcouru. En mars, l'idée même de subventions était inimaginable pour beaucoup. Aujourd'hui, ils l'ont tous accepté », insistaient dans la nuit des sources diplomatiques françaises et européennes. Au final, la France devrait toucher 40 milliards d'euros de subventions, comme escompté, a confirmé le ministre des Finances Bruno Le Maire ce matin sur France Info, en saluant « l'acte de naissance d'une nouvelle Europe ». L'Italie et l'Espagne, futurs principaux bénéficiaires, toucheraient quelque 60 milliards d'euros.

Droit de regard mais pas de veto

Emmenés par le Premier ministre néerlandais Mark Rutte , les frugaux ont obtenu une forme de droit de regard sur l'utilisation que feront des subventions leurs bénéficiaires, un point qui a longtemps bloqué avec l'Espagne et l'Italie, soucieuses de ne pas se voir mises sous tutelle comme la Grèce lors de la crise de l'euro. Mais Mark Rutte, dont la ligne dure visait aussi à répondre à la pression exercée par la droite nationaliste et l'opinion néerlandaises, qui jugent l'Europe du sud trop dispendieuse, n'a pas obtenu le droit de veto qu'il réclamait, via une validation des plans nationaux de relance à l'unanimité des 27. Le dispositif final adopté, complexe et tortueux comme Bruxelles sait faire, prévoit une forme de contrôle des plans nationaux de relance par le Conseil à la majorité qualifié

De forts rabais pour les frugaux

Le lancement du plan de relance, priorité absolue de Paris, Berlin, de la Commission européenne et du président du Conseil, Charles Michel, fait néanmoins une importante victime collatérale : le budget 2021-2027 de l'Union.

D'une part, les frugaux ont obtenu un net renforcement des « rabais » dont ils bénéficient en qualité de contributeurs nets . Les Pays Bas notamment vont ainsi baisser leur facture européenne annuelle de deux milliards d'euros. La pilule a été dure à avaler pour la majorité d'Etats membres qui voulaient profiter du départ du Royaume-Uni, leur initiateur, pour mettre fin à ces dispositifs. Et en particulier la France, qui paye en partie ces rabais, contrairement à l'Allemagne, qui, elle, en bénéficie et voit son rabais maintenu à son niveau actuel.

D'autre part, le sauvetage dans le plan de relance des subventions directes aux Etats s'est fait au prix de coupes franches dans les subventions destinées à abonder le budget européen. L'ambition globale a ainsi été revue à la baisse dans des domaines comme la santé ou le programme Erasmus. Au final, le prochain cadre financier pluriannuel ne sera doté que de quelque 1.070 milliards d'euros, contre 1.100 proposés par la Commission européenne et 1.300 demandés par le Parlement européen.

Angela Merkel n'a toutefois affiché « pas de regrets » et souligné que « ces concessions font partie de l'esprit de compromis, même si ce dernier a été douloureux. » ​Emmanuel Macron a aussi défendu « des concessions proportionnées et nécessaires pour avoir l'essentiel, un plan de relance ambitieux. » « Aujourd'hui, avec le plan de relance, le budget européen est quasi doublé et désormais proche de 2 % du revenu national brut », a insisté le chef d'Etat français, pointant que « la Politique agricole commune est stabilisée, la politique de cohésion est maintenue et toutes les politiques d'avenir voient leur budget augmenter. »

" Pour la première fois dans l'histoire européenne, le budget est lié aux objectifs climatiques et le respect de l'Etat de droit devient une condition pour l'octroi des fonds", s'est de son côté félicité Charles Michel, le président du Conseil européen, soulagé par un accord qui constitue pour lui aussi une victoire, et un soulagement, qui intervient pour l'anecdote le jour de la fête nationale Belge.

L'accord prévoit ainsi que 30 % des dépenses, du budget comme du plan de relance, devront aller directement à la lutte contre le réchauffement climatique. Sur le conditionnement à l'Etat de droit, question très sensible avec la Pologne et la Hongrie, une éventuelle suspension des fonds européens devrait être approuvée par une majorité qualifiée des Etats membres (55 % des pays de l'UE représentant 65 % de la population totale), un point d'atterrissage plus accommodant que le dispositif originel proposé par la Commission européenne. La presse hongroise pro-Orban a salué une « grande victoire ».

Cela marque le début de la séquence qui suit traditionnellement tout sommet aussi tendu : celle ou chacun explique que c'est lui qui a gagné. Pour Paris et Berlin, le constat est double. Oui, le couple franco allemand, par une unité sans faille, a obtenu un accord historique. Mais non, même main dans la main et sans plus avoir à affronter les barrages britanniques, il ne fait plus la pluie et le beau temps en Europe.

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